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Spectacle : "Cyrano sens dessus dessous"
Ce Cyrano n’est pas le flamboyant bretteur et discoureur magnifié par Edmond Rostand mais le vrai qui l’a inspiré, Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), auteur de lettres satiriques, d’une tragédie (La mort d’Agrippine) mais surtout de deux romans publiés quelques années après sa mort et qui, pour certains, font de lui le précurseur de la science-fiction, Histoire comique des États et Empires de la Lune et Histoire comique des États et Empires du Soleil. Dans ces livres, il «traite de thématiques importantes pour l'époque, mais sur un ton comique, voire cocasse. Il parle des différentes théories de la science moderne naissante et met en parallèle les arguments scientifiques, théologiques et moraux», écrit Anne Staquet qui les transpose sur scène. Évitant l’écueil de «la vulgarisation» ou de «l’explication» du «matérialisme philosophique» d’un homme convaincu que la pensée vient du corps. Et veillant à bien restituer «la dimension ludique, farfelue et burlesque» des textes.
La pièce s’ouvre sur une discussion entre le héros Dyrcona de Bergerac (quasi anagramme de Cyrano) et son ami Savinien de Colignac au cours de laquelle le premier se dit persuadé qu’en perfectionnant le télescope, on pourrait distinguer les montagnes et vallées couvrant la surface de la Lune qu’il imagine habitée. Ce qui fait beaucoup rire son interlocuteur consterné devant une telle «aberration». Pour s’en convaincre, l’apprenti scientifique décide de se rendre sur place en se confectionnant une ceinture avec des fioles de rosée. Mais plutôt que d’alunir, c’est en Nouvelle France qu’il atterrit. Il se heurte au vice-roi qui lui rappelle qu’en vertu du bon sens, mais aussi d’Aristote et de la Bible, le Soleil tourne autour de la Terre. S’ensuit un savoureux échange au cours duquel Dyrcona tente de convaincre son vis-à-vis que la Terre tourne sur elle-même.
L’aventurier tombe ensuite chez les Séléniens qui marchent à quatre pattes, contrairement aux animaux qui n’en emploient que deux. Jugé pour avoir affirmé que la Lune est une lune (il est habilement défendu par le Démon de Socrate), il est envoyé sur la face cachée de cet astre où vit l’athée. Mais il n’est pas encore arrivé au terme d’un périple où il aura été tour à tour question de Dieu, de la foi, de la création de l’univers, du hasard, de la nature, de la supériorité des hommes sur les autres créatures, et notamment sur les végétaux (peut-on prouver qu’un chou ne raisonne pas parce qu’il n’a jamais démontré qu’ils raisonne ?), etc. Cette pièce aussi riche qu’hilarante se lit avec gourmandise tant les chemins philosophiques empruntés par les uns et les autres sont tracés de main de maître par un esprit éminemment farceur. Un régal pour les metteurs en scène curieux et inspirés.